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Interview transgenre : L'harmonie du corps et de l'esprit
Le mot transgenre, et tout ce qu’il englobe, a tendance à fasciner les gens. Beaucoup se demandent comment la transformation se passe, comment les personnes transgenre la vivent, quand et comment ils se sont décidés à changer de sexe. Afin de répondre aux questions que vous vous posez peut-être, nous avons rencontré une transsexuelle qui s'est faite opérée pour devenir la femme qu'elle a toujours été au fond d’elle.
Quand avez-vous remarqué que vous étiez née dans le mauvais corps. ? Y a-t-il eu un moment décisif dans votre jeunesse ou est-ce plutôt un long processus ?
Honnêtement, je ne me souviens pas m'être jamais sentie comme un garçon. Toute petite déjà, j'ai senti qu'il y avait quelque chose de différent chez moi. Heureusement pour moi (ou malheureusement, je ne sais pas), j'ai réalisé assez qu'il était difficile pour les autres de comprendre ce que je pouvais vivre. De toute manière je n'ai jamais su trouver les mots pour expliquer ce qu'un petit garçon, puis un ado, puis un jeune homme peut ressentir quand il n'est pas la personne qu'il se sent être à l'intérieur. C'est très difficile de rendre compréhensible ce qui parfois ne l'est pas. Je ne pouvais dire ce que je pensais vraiment. Imaginez qu'un jeune garçon dise aux autres enfants ou même aux adultes : "je suis une fille !". A l'heure actuelle, c'est impensable. Imaginez-vous maintenant des années à se faire répéter que les garçons sont des garçons et les filles des filles, que les garçons aiment telle ou telle chose et que les filles en aiment d'autre (je fais des raccourcis grossiers, je sais, mais c'est pour mieux montrer la bêtise de la société quant aux questions de genre). Mais bon, on m'a répété que j'étais un garçon et me voilà aujourd'hui femme et reconnue comme telle.
Vous m'avez dit en off que vous avez une femme et des enfants. Comment avez-vous dit à votre épouse et à vos enfants que vous alliez changer de sexe ? Comment ont-ils réagi ?
D'abord une petite précision : être transgenre n'est pas une question de désir ou de volonté. Cela ne m'empêchait pas de vivre que d'être un homme sur le plan physiologique. Il y a bien des situations où en être un s'avère être un avantage, mais je n'aurais jamais pu m'épanouir complètement si je n'avais pas fait l'opération. Il y avait comme un manque en moi, c'est indescriptible, mais je peux dire aujourd'hui que je suis heureux. Mais revenons à votre question : une conversation a ouvert la voie. Alors que ma femme était enceinte de notre plus jeune enfant, je traversais une crise dépressive majeure et je ne voyais pas d'autre issue que de dire à ma femme ce qui n'allait pas avec elle. Je ne portais ni robe, ni soutien-gorge, ni escarpins, ni maquillage ... Je portais un jean, un tee-shirt et une barbe épaisse ... Et nous avons eu une longue conversation.
Nous ne savions pas à quoi nous attendre, mais nous avons décidé d'aller ensemble aussi loin que possible. Nous avons décidé de prendre des décisions ensemble et d’être honnête l'un envers l'autre. Nous avons décidé d'être patients et de discuter de toutes les étapes ensemble. Et nous le faisons à ce jour dans toutes les décisions qui ont affecté ma transition.
Qu'est-ce qui fait de vous réellement une personne transgenre ? L'opération suffit-elle à faire de vous une femme ?
Je crois qu'être transgenre c'est faire l'expérience de la différence, de l'étrangeté. Disons que c'est être étranger à son corps. L'opération ne suffit pas à faire de vous une femme, mais elle concrétise un cheminement. Elle change aussi le regard des autres. Disons que l'opération est un moyen, pas une finalité. Mais c'est compliqué à expliquer.
En quoi cela vous a-t-il affecté dans votre personnalité et dans votre rapport aux autres ?
Difficile à dire. Je pense que l'opération m'a permis de m'accepter en tant que femme, mais aussi et surtout en tant que personne. Mais elle n'a pas vraiment changé mon essence, ce que je suis profondément. Par rapport aux autres, c'est sûr que cela a changé beaucoup de chose. Cela n'a pas été facile, mais le fait que ma famille se tienne unie derrière moi m'a permis d'affronter les regards moqueurs et choqués des autres. J'aimerais d'ailleurs dire qu'être différent c'est en fait être normal. Au quotidien, je rencontre toutes sortes de réactions, malheureusement, je suis souvent rejetée. J'ai par exemple dû démissionner car certains collègues me rendaient la vie dure. Mais le harcèlement n'est pas que du fait des transgenres. Le harcèlement est une composante du monde du travail, je le regrette sincèrement.
Pour revenir à la question, je suis très consciente de mon altérité et j'essaye d'expliquer. Et quand une seule personne dit me comprendre et le pense vraiment, alors je me sens heureuse. Si cela ne fonctionne pas, ma stratégie consiste à amener les gens à réfléchir. J'ai dû apprendre à vivre avec les regards des autres, apprendre que je ne passe rarement inaperçue dans un café ou dans les magasins. J'ai dû apprendre que certaines personnes réagissaient de manière agressive à mon égard. Mon opération, au final, a ouvert les yeux des autres, et cela me rend fière.
Comment avez-vous parlé aux enfants à ce sujet, y a-t-il de l'hostilité de la part de leurs camarades ?
Peu de temps après avoir décidé de passer à l'acte, il était clair que mon besoin de féminité affecterait aussi les enfants et qu'il fallait les protéger. Avec ma femme, nous avons donc souvent parlé aux enfants, nous avons répondu à toutes leurs questions. La question « Papa, es-tu un homme ou une femme ? » Était une grande préoccupation pour notre deuxième fils. « Mon corps est celui d'un homme et dans mon cœur je suis une femme ». J'ai pleuré quand mon fils m'a dit : "Je t'aime qui que tu sois".
Concernant la deuxième partie de la question, je sais que certaines personnes leur ont déjà fait la réflexion, mais ils tiennent toujours bon et font preuve d'une telle répartie que les moqueries s'estompent aussi vite qu'elles ont commencé. La preuve, nos enfants sont intégrés socialement, ils sortent avec leurs amis, les invitent à la maison sans que cela ne pose de problème.
Le monde est-il différent au travers des yeux d'une femme ?
Le monde a beaucoup changé depuis que je vis en tant que femme. Surtout dans les domaines où je suis perçue comme une femme. Avant je devais vivre et faire avec les préjugés liés au genre masculin. Aujourd'hui je vis tantôt avec les préjugés concernant les femmes, tantôt avec les préjugés qui touchent les transgenres et les transsexuels. Je ne dis pas que c'est bien ou que c'est mal, je ne fais que constater l'état de la société par rapport au genre des personnes.
Moi, par contre, je n'ai pas vraiment changé. Bien sûr, j'ai évolué, comme toute personne au cours de sa vie, mais je me sens moi. Avec le bonheur de ma famille, c'est le plus important.